Le gouvernement canadien est en train de revoir le cadre réglementaire de la gouvernance des semences : ce que nous devons tous savoir

En 2019 et 2020, le gouvernement du Canada procède à un examen des cadres réglementaires régissant les semences. Des modifications sont envisagées pour la Loi sur la protection des obtentions végétales et son règlement d’application. Si l’un de ces changements est mis en œuvre, les implications pour les agriculteurs et l’agriculture au Canada seront profondes.

Voici quelques éléments de base : quelle est l’histoire de la sélection végétale au Canada, quels sont les changements proposés et, peut-être le plus important, pourquoi les agriculteurs et les consommateurs biologiques devraient-ils s’en soucier ?

L’histoire de l’amélioration des plantes et de la protection des obtentions végétales au Canada :

Le coût associé à la sélection de nouvelles variétés de plantes est élevé. C’est pourquoi, en 1990, les sélectionneurs de plantes ont obtenu le droit (en vertu de la loi et du règlement sur la protection des obtentions végétales) de générer des redevances en échange de l’utilisation de nouvelles variétés végétales. Cela leur permet d’intenter des actions en justice contre les personnes ou les entreprises qui enfreignent les droits exclusifs du titulaire. Comme Chris Thoreau l’a noté dans un article récent, « en toute justice, si je passe dix ans à développer et à cultiver la « carotte super sucrée » de Chris et que je commence à la vendre, je dois récupérer le coût de la sélection de cette semence » (Marrapese, 2019, paragraphe 11). Cela semble logique, n’est-ce pas ?

Le Canada n’est pas le seul pays à avoir adopté une loi sur la protection des obtentions végétales. Alors que la loi et le règlement sur la protection des obtentions végétales régissent la mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle (DPI) pour les nouvelles variétés de plantes au Canada, nous appartenons en fait à une organisation intergouvernementale appelée L’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). L’UPOV fournit des modèles que des pays membres comme le Canada peuvent adopter (et nous avons adopté le modèle UPOV ’91).

Il existe toutefois une exemption dans la loi sur les droits d’obtenteur, appelée « privilège des agriculteurs ». Le « Farmers’ Privilege » permet aux agriculteurs de conserver des semences de variétés protégées par le droit d’obtenteur et de les planter sur leurs terres au cours des saisons futures. Comme le note le Syndicat national des agriculteurs, cela signifie que si les agriculteurs paient une redevance sur l’achat initial de semences, ils ont eu « le droit de conserver librement les semences de la première année de récolte pour les planter lors des récoltes suivantes » (NFU, 2018).

Le Canada n’est pas le seul pays à reconnaître l’importance du privilège de l’agriculteur. En fait, le Canada est signataire du traité sur les plantes de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). En tant que signataire, le Canada, comme de nombreux autres pays, accepte de ne pas limiter les droits des agriculteurs à conserver, utiliser, échanger et vendre les semences et le matériel de multiplication de leur exploitation (sous réserve de la législation nationale et selon le cas).

Un paysage en mutation :

Seed Synergy, une coalition d’associations du secteur semencier canadien (qui comprend CSICSGACSTACPTACropLife Canada et CSAAC) fait pression pour que des changements soient apportés au système actuel. Ils font valoir la nécessité d’investir davantage dans la sélection végétale pour « soutenir les producteurs canadiens de céréales, de légumineuses et de cultures spéciales »(Zienkiewicz, 2019, paragraphe 4). Un article de Germination poursuit en affirmant que « la recherche sur le développement de variétés pour ces cultures manque considérablement de ressources si l’on considère la perspective à long terme avec une concurrence mondiale accrue et le rythme rapide des innovations technologiques » (Zienkiewicz, 2019, paragraphe 4).

Le groupe « Synergie des semences » n’a pas tort. Nous devons investir davantage dans la sélection des plantes pour soutenir nos producteurs (en particulier, leur besoin de semences adaptées au climat et à la région). L’urgence se fait surtout sentir dans le secteur des céréales et des légumineuses, où les agriculteurs ont tendance à se vendre des semences entre eux (à l’exception des nouvelles variétés qui sont brevetées).

Les changements qu’ils ont proposés auront toutefois de graves conséquences pour les agriculteurs et l’agriculture au Canada (s’ils sont mis en œuvre). Pourquoi ? Parce que les deux changements proposés limiteraient le privilège des agriculteurs pour toutes les variétés protégées par le droit d’obtenteur de l’UPOV 91 (c’est-à-dire toutes les variétés enregistrées avec un droit d’obtenteur après le 27 février 2015).

Quelles sont les modifications proposées ?

Le gouvernement va ouvrir une consultation publique sur les deux options suivantes de collecte de redevances sur toutes les variétés de droits d’obtenteur UPOV’91 :

1Les redevances de fin de contrat : Le producteur devrait payer une redevance sur tout le matériel récolté des variétés UPOV’91 – y compris les cultures produites à partir de semences de ferme. La redevance est payée lorsque l’exploitation agricole livre des céréales à la chaîne d’approvisionnement.
2Contrats de semences certifiées avec obligations de redevances sur les semences de ferme (Redevances de contrat de suivi) : Les producteurs qui achètent des variétés de semences certifiées au titre de l’UPOV 91 concluent un contrat qui soit renonce au privilège de l’agriculteur de planter les cultures suivantes de cette variété avec des semences de ferme entièrement, soit exige de l’agriculteur qu’il paie une redevance « de suivi » pour les semences de ferme utilisées au cours des années ultérieures de production. Ces producteurs devront rendre compte de leur utilisation annuelle de semences de ferme et autoriser les sélectionneurs à vérifier leurs déclarations.

Outre la restriction du privilège des agriculteurs sur les variétés de céréales et de légumineuses de l’UPOV’91, le gouvernement envisage également la suppression du privilège des agriculteurs sur les variétés de fruits, légumes et plantes ornementales de l’UPOV’91. Bien que les taux d’utilisation des semences conservées par les agriculteurs pour les variétés protégées de ces cultures soient beaucoup plus faibles que pour les céréales et les légumineuses, la suppression du privilège des agriculteurs pour ces types de cultures élimine toute forme de conservation des semences pour les variétés nouvellement protégées de fruits, légumes et cultures ornementales.

Qu’est-ce que cela signifierait pour le bio ?

L’introduction de redevances sur les semences conservées à la ferme entraînerait une pression supplémentaire sur les agriculteurs biologiques pour qu’ils achètent des semences conventionnelles non traitées. Comment ?

La pénurie de semences certifiées biologiques sur le marché est bien connue. Alors que la réglementation sur l’agriculture biologique oblige les agriculteurs biologiques à acheter des semences biologiques, ils sont autorisés à acheter des semences conventionnelles non OGM non traitées s’il n’y a pas de variétés biologiques équivalentes disponibles. Il en résulte que 30 % du secteur de l’agriculture biologique ou écologique utilise des semences conventionnelles non traitées (COTA, 2014).

Les agriculteurs biologiques, cependant, ne sont rien d’autre que patients et innovants. Conserver et adapter les semences conventionnelles non traitées à leur exploitation est un moyen de s’assurer que la variété dont ils ont besoin est biologique et adaptée à leur système de production et à leur lieu d’implantation. Si les agriculteurs biologiques ne sont pas en mesure de conserver les variétés enregistrées lors de l’UPOV 91, ils pourraient toujours travailler avec des variétés antérieures à l’UPOV 91, mais il a été suggéré que ces variétés pourraient être désenregistrées, ce qui les mettrait hors de circulation. Dans les deux cas, les agriculteurs biologiques n’ont guère d’autre choix que de continuer à acheter des semences conventionnelles non traitées chaque saison, ce qui augmente leurs coûts, compromet leur système de production et met en péril l’intégrité du mouvement biologique.

Comme l’a déclaré Emma Holmes, spécialiste du secteur biologique pour la Colombie-Britannique, dans un récent article pour le COABC, « le marché des semences certifiées biologiques devrait continuer à croître dans les prochaines décennies, car la demande des consommateurs pour les produits biologiques augmente et les certificateurs adoptent une application plus stricte concernant l’achat de semences biologiques lorsqu’elles sont disponibles » (Holmes, 2019, par. 7). Le paradoxe est palpable et les répercussions sont considérables ; de l’agriculteur qui en supporte le coût, aux consommateurs qui exigent des produits biologiques, en passant par la biodiversité qui est favorisée par la sélection végétale participative, on ne sait pas encore très bien comment les agriculteurs – en particulier les agriculteurs biologiques/écologiques – pourraient bénéficier d’un système accru de collecte de redevances sur les variétés protégées.

Notre implication

Certains d’entre vous sont peut-être déjà au courant de ces consultations et des changements proposés pour la gouvernance des semences au Canada. En novembre 2018, Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) ont annoncé des consultations initiales en personne à Ottawa (3 novembre 2018), Winnipeg (6 novembre 2018), Saskatoon (4 décembre 2018) et Edmonton (6 décembre 2018), axées principalement sur la création de valeur pour les céréales. Le secteur biologique était très présent ; j’ai assisté à la consultation d’Ottawa avec de nombreux autres représentants du secteur biologique, et des membres du secteur biologique étaient présents aux consultations d’Edmonton, de Saskatoon et de Winnipeg.

Quelle est la prochaine étape ?

Nous prévoyons que des consultations en ligne seront annoncées cette année, bien qu’avec les prochaines élections fédérales, nous ne soyons pas sûrs qu’elles auront lieu avant ou après les élections. Notre objectif est de vous informer afin que nous soyons prêts à nous mobiliser si et quand les consultations s’ouvriront. Suivez nos canaux de médias sociaux dans les semaines à venir, alors que nous nous entretenons avec certains membres de notre conseil d’administration pour connaître leur opinion sur les changements proposés. Nous continuerons bien entendu à vous tenir informés par courrier électronique.

Pour plus d’informations sur ce que vous pouvez faire pour agir à court terme, veuillez consulter le site web du Syndicat national des agriculteurs et participer à leur campagne  » Save Our Seed « .

Nous devons un grand merci à nos partenaires de l’USC Canada pour avoir joué un rôle de premier plan dans la coordination du secteur biologique et pour avoir fait en sorte que nous ayons une voix unifiée pour le secteur biologique. Nous sommes plus forts lorsque nous travaillons ensemble. Si vous le pouvez, veuillez partagez cette lettre avec un voisin ou un ami pour faire passer le mot sur cette question importante.